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Sans doute le diable a-t-il organisé la rencontre de Thomas Mann et du philosophe Theodor W. Adorno, sans laquelle il eût raté son retour littéraire en plein XXe siècle. Le Russe Mikhaïl Boulgakov, il est vrai, y travaillait de son côté. Mais jeter l'héritier de la grande tradition humaniste allemande dans les bras d'un sociologue marxiste féru de musique dodécaphonique, c'était particulièrement bien trouvé. Les échanges entre les deux hommes baignent dans cette ironie diabolique, faisant crûment ressortir les contradictions de cette intelligentsia allemande que l'avènement du fascisme a dispersée aux quatre coins du monde. Mais du jour où ils mettent en commun leurs stupéfiantes ressources — d'intelligence, d'expression, d'invention, d'empathie —, ils savent aussi que rien de ce qu'écrit l'autre ne pourra jamais les laisser indifférents. Leurs deux univers additionnés dessinent une manière d'Allemagne idéale, qui se tiendra à bonne distance des gouffres jumeaux de la perdition et du salut.